Il faut également dire que, si de nombreux médias alternatifs ont excellé en signalant ces desseins géostratégiques étasuniens, visant à forcer la Serbie à « reconnaître » le Kosovo, bien peu ont osé en regard préciser quels intérêts la Russie avait également dans cette affaire, du fait que ce dernier point est trop « politiquement incorrect » pour beaucoup. L’auteur du présent article avait déjà analysé les calculs stratégiques d’arrière-plan du Kremlin, début 2019, dans son article « La Russie pourrait revenir dans les Balkans (de manière controversée) par la grande porte« , qui s’appuyait sur trois analyses d’experts membres du Russian International Affairs Council (RIAC), un think-tank très influent et bien connecté à Moscou, prouvant que Moscou ne serait pas si gênée que cela si la Serbie cédait aux projets occidentaux : on semble s’être résigné à Moscou à l’idée que ces projets sont sans doute irréversibles, sauf à réaliser d’importants (et inacceptables) sacrifices pour les enrayer (et ce sans garantie du succès). Aussi, la position tacite de la Russie semble être de se borner à canaliser si possible cette dynamique stratégique.
C’est à la lumière de cela que l’on peut également comprendre pourquoi Moscou a reconnu le changement de nom inconstitutionnel de la république de Macédoine, malgré sa promesse antérieure de ne pas le faire ; il s’ensuit qu’elle devrait également respecter la volonté du gouvernement de Serbie, internationalement reconnu, indépendamment de l’inconstitutionnalité des décisions de ce dernier vis-à-vis du Kosovo. L’analyste politique patriote Anna Filimonova, qui ne mâche pas ses mots, a levé l’alerte dans un article de 2018, sous le titre « La Russie est en train de perdre le peuple serbe » , indiquant que cette approche russe centrée sur ses intérêts propres, posait le risque de perdre l’immense soft power dont la Russie dispose en Serbie ; en ne prenant pas en compte l’immense opposition intérieure serbe aux projets de Vucic vis-à-vis du Kosovo, et afin de préserver les contrats entre les États qui sous-tendent aujourd’hui l’influence russe dans le pays des Balkans. Mais ces avertissements seront probablement tombés dans l’oreille d’un sourd : la Russie contemporaine a rompu depuis longtemps avec la politique de « révolutions des peuples » de son prédécesseur soviétique, et se préoccupe beaucoup plus désormais des relations inter-élites au niveau des États, pas au niveau interpersonnel.
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