
Série : « La Serbie dans la Grande Guerre » – Jour 5
À la fin de l’année 1915, après des combats épuisants et une victoire difficile mais glorieuse à la bataille de Kolubara, la Serbie fut confrontée à une nouvelle catastrophe. À l’automne de la même année, les forces alliées de l’Autriche-Hongrie, de l’Allemagne et de la Bulgarie se retrouvèrent à ses frontières. Petit pays épuisé, frappé par les épidémies, la famine et le manque de munitions, la Serbie était encerclée. Le 23 novembre 1915, le gouvernement serbe et le Haut Commandement prirent une décision fatidique : la retraite à travers le Monténégro et l’Albanie vers la côte de l’Adriatique.
Les colonnes de l’armée serbe et de civils – femmes, enfants, vieillards et blessés – partirent le 3 décembre 1915. La neige, la faim, la maladie et la pression ennemie transformèrent cette retraite en l’un des événements les plus tragiques de l’histoire du peuple serbe. Le chemin traversait des montagnes inaccessibles, des gorges et des précipices, où les tempêtes de neige et la faim faisaient plus de victimes que les armes. Les gens mouraient à chaque pas – d’épuisement, de froid et de maladie. Beaucoup restèrent à jamais dans les montagnes albanaises, sans tombe ni nom.
Le roi Pierre Ier Karađorđević, bien que vieux et malade, refusa d’abandonner son armée et son peuple. Il voyageait à cheval ou en charrette, aux côtés de ses soldats, partageant leur sort. Sa présence dans la colonne symbolisait la dignité, la persévérance et la foi en la survie de la Serbie. Les officiers partageaient leurs dernières rations avec les soldats, et ces derniers, malgré la faim et la fatigue, gardaient leurs armes et leurs drapeaux – signe que la guerre n’était pas terminée.
Les estimations du nombre de morts pendant la retraite varient, mais on estime que 200 000 à 250 000 personnes ont perdu la vie, dont des dizaines de milliers de civils. Environ 155 000 survivants, principalement des soldats, atteignirent la côte adriatique, à Valona, Shkodër et Durrës, où ils attendirent l’aide des alliés. Les marines italienne et française organisèrent l’évacuation de l’armée serbe et des réfugiés vers l’île de Corfou et la petite île de Vido, où commença leur convalescence.
En raison du sol rocheux de Vido, il était impossible de creuser des tombes, et les corps des défunts furent immergés dans la mer. Ce lieu est aujourd’hui connu sous le nom de « Tombe bleue » – symbole du plus grand sacrifice et de la douleur la plus profonde de l’histoire serbe.
La traversée de l’Albanie ne fut pas seulement une catastrophe militaire, mais aussi un triomphe moral. Dans les circonstances les plus dures, sans nourriture, sans vêtements, sans espoir, le peuple et l’armée montrèrent leur détermination à ne pas accepter la défaite. Lorsqu’ils aperçurent, épuisés et malades, l’horizon de la mer Adriatique, ils savaient qu’ils avaient presque tout perdu – sauf leur dignité et leur foi en un retour. Ce retour, qui se réalisera sur le front de Salonique, deviendra le symbole de la résurrection de la Serbie.